Say on Pay et bonus fantômes : chez Renault, Carlos Ghosn défie l’Etat

Quand on commence à goûter au pot de confiture, il est difficile de s’arrêter. Les actionnaires de Renault réunis en AG ce jeudi 15 juin 2017, ne pourront pas, éluder cette année encore, la question de l’insatiabilité du PDG en matière de rémunérations.

Des documents consultés par des journalistes de l’agence Reuters ont révélé le 13 juin 2017, que Carlos Ghosn, le patron surpayé de Renault qui dirige l’alliance Renault-Nissan (RNBV) d’Amsterdam, aurait, à l’étude, un projet de plantureux bonus-fantômes destinés à une petite équipe de dirigeants dont lui-même.

Ardea Partners, une boutique de corporate finance basée à Londres, une sorte de spin-off de Goldman Sachs,  fondée par Chris Cole que connait bien Carlos Ghosn, aurait mis au point un montage financier destiné à « motiver » les dirigeants des sociétés de l’Alliance en vue de favoriser les synergies entre les constructeurs. Une petite partie de ces synergies qui se chiffrent tout de même en milliards d’euros, seraient loties aux Pays Bas et iraient prochainement remplir, les poches du PDG et d’un quarteron de dirigeants de l’Alliance. Pas besoin de communiquer auprès des actionnaires sur les bonus, pas besoin de payer des charges sociales en France et probablement pas besoin non plus de payer des impôts . Si le projet qui a maintenant des chances de tomber à l’eau, allait à son terme, c’est quelques dizaines de millions € qui pourraient alors venir s’ajouter à la montagne de bonus sur laquelle trône celui qui cumule aussi les fonctions de PDG de Renault, de Président de Nissan ( depuis peu) et de Mitsubishi.

Carlos Ghosn n’a peut-être pas fondé l’empire qu’il dirige, mais il sait à coup sûr, comment se construire une jolie fortune avec les sociétés qu’on lui a confié. Comme Alexandre Bompard ( hier Fnac , demain Carrefour) , Benoît Potier (Air Liquide), Olivier Brandicourt (Sanofi) ou encore Jean-Paul Agon ( L’Oréal), le PDG de Renault fait partie des grands patrons qui plongent dans le pot de confiture avec une grosse cuillère.

Mais à la différence de ses confrères, Carlos Ghosn prend beaucoup plus de risques, puisqu’il défie régulièrement l’Etat français qui possède 20 % du capital de Renault. L’an dernier, il n’a pas obtempéré, refusant de revenir à une rémunération plus modeste ( voir notre article) à la tête du constructeur français. De nouveaux coups de boutoir de Bercy sont donc prévus cette année et cette affaire de bonus-fantômes tombe à pic. Le mandat de Carlos Ghosn chez Renault se termine en 2018, sa place est très convoitée et sa propension à défier Bercy peu appréciée.

En attendant, s’agissant de sa rémunération , les années se suivent et se ressemblent. En 2016, la capacité du brillant patron, à soutirer de l’attelage Renault-Nissan une rémunération hors normes, est restée intacte.

Flash back sur le Say on Pay 2015

Mais, revenons une année en arrière, et plus précisément à l’AG de Renault qui s’est tenue le 29 avril 2016. L’an dernier, alors qu’un accord de gouvernance venait d’être signé entre Renault, l’Etat et Nissan sous l’égide de Bercy, dont le ministre n’était autre que l’actuel Président de la République, Emmanuel Macron, on avait lâché du lest sur la gouvernance de Renault.

Bien que l’Etat bénéficie de droits de vote doubles chez le constructeur français, il s’était lié les mains en acceptant de revenir à des droits de vote simple ( 1 action = 1 voix) pour ce qui concernait le vote des rémunérations du PDG de Renault, se privant ainsi d’un effet de levier psychologique sur le patron.

En 2016, Bercy avait du avaler son chapeau. L’Etat avait certes obtenu en AG un vote négatif de la rémunération 2015,  le fameux say on pay du PDG,  mais il s’en était suivi une mascarade. Le vote en question n’était que consultatif et Carlos Ghosn refusait tout changement de sa rémunération 2015, se disant seulement prêt à  s’engager à l’avenir à reverser 1 million à une fondation de Renault et à revoir à la marge le calcul de sa rémunération variable. Résultat : un tsunami médiatique sur « le salaire des patrons » qui risque fort de se transformer cette année en un clapotis ridicule.

Une loi Sapin 2 inopérante sur le Say on Pay 2016 et l’ex-ante 2017

En effet, la loi Sapin 2 est enfin née de la colère étatique, qui devait tout changer pour rendre enfin le Say on Pay non plus consultatif mais « décisionnaire ». Le problème est qu’on risque de s’apercevoir qu’en 2017, elle est toujours inopérante. Les actionnaires ne sont pas près de pouvoir réellement s’opposer aux rémunérations patronales et en tout cas pas pour faire changer la donne cette année. La déception sera peut-être grande chez les actionnaires de Renault, dont font partie de très nombreux salariés. Pourquoi ?

Le conseil de Renault, présidé par Carlos Ghosn,  a certes promis l’an dernier un réaménagement de sa rémunération 2016 et 2017, mais on va très vite s’apercevoir que ce sont des rectifications à la marge qui sont proposées à l’AG ( voir ce qui suit). Le principal changement passe par « plus de lisibilité » d’une rémunération qui reste extrêmement complexe. Le progrès semble satisfaire les grands investisseurs qui préfèrent finasser sur le détail des critères de performance, plutôt que de s’interroger sur la loyauté d’un dirigeant qui passe du temps à réfléchir sur le meilleur mode d’aspiration de la valeur créée par l’ entreprise.

Secundo, même si le Say on Pay 2016 de Carlos Ghosn, était rejeté en AG, ce que nous n’anticipons pas, ça ne changerait rien. La loi Sapin 2 a fait quelques concessions au Medef. Elle ne s’appliquera en totalité que l’an prochain. Le Say on Pay 2016 ne donne toujours pas le pouvoir de dire « non » aux actionnaires qui ne sont toujours que consultés. Le comité des rémunérations de Renault présidé par Patrick Thomas, pourrait donc continuer à s’en sortir par un pied de nez aux actionnaires si c’était le cas.

Terzio, il faut savoir que, comme minoritaires.com l’a déjà expliqué, le Say on Pay 2017 ex-ante ( c’est à dire voté avant d’être versé) de Carlos Ghosn mis au vote, lui aussi,  en AG ce 15 juin, peut être refusé sous l’effet de la mauvaise humeur de certains actionnaires. Toutefois, en cas de vote négatif, le conseil d’administration peut tout simplement décider de ne rien modifier. Si c’est le cas, ce sont les critères de 2016 qui s’appliqueront à la rémunération 2017 du PDG, des critères identiques à ceux de 2016.

Mis à part Proxinvest, les cabinets de conseil en vote se montrent conciliants

De toutes façons dans le cas de Renault, il est peu probable que le Say on Pay 2017 soit rejeté. En effet, les cabinets de conseil en vote anglo-saxons,  ISS et Glass, Levis & co, ont décidé de conseiller un vote en faveur des critères prévisionnels de la rémunération 2017 du PDG (Say on Pay 2017 ex-ante). Il n’y a guère que Proxinvest qui tient cette année encore, sa position et conseille de voter « contre ». Quant à l’Etat, il n’a pas une majorité.

« Après le rejet de la résolution sur la rémunération de Carlos Ghosn lors de l’AG 2016, la rémunération attribuée au tître de 2016 de 7 millions € ( en normes IFRS) , soit 15,4 millions € en incluant sa dernière rémunération chez Nissan, est tout simplement le témoignage d’une nouvelle défaillance du conseil d’administration de Renault, incapable d’écouter sérieusement ses actionnaires, incapable de prendre en compte le fait que le PDG perçoit déjà des émoluments chez Nissan, incapable d’aligner la politique de rémunération sur les pratiques standards du CAC 40, incapable de fixer des objectifs exigeants pour le calcul du bonus. Proxinvest recommande donc de s’opposer à la résolution 6 de l’AG du 15 juin 2017. En outre, les montants de rémunérations proposés pour 2017 restent, en effet, du même ordre de grandeur que ceux de 2016 et méritent une nouvelle fois d’être sanctionnés dans la résolution 7 » expliquent les analystes de Proxinvest.

Comment se décompose la rémunération du PDG de Renault en 2016 et 2017 ? 

Reprenons depuis le début. Quelles ont été dans le détail, les améliorations apportées en 2016 et 2017 à la rémunération de Carlos Ghosn suite au refus du Say on Pay de 2015 par les actionnaires ?

La rémunération chez Nissan

La rémunération de Carlos Ghosn chez Nissan Motors, la dernière en tant que PDG a été quasiment inchangée  et elle n’est toujours pas détaillée dans les documents de Renault. Une fois de plus, Carlos Ghosn a réussi à se dédoubler avec un mandat de PDG de Nissan qu’il a été censé exercer au Japon ( d’avril 2015 à mars 2016) et un mandat de PDG de Renault à Paris. (Et sans doute en 2018, envisageait-il  une troisième vie très bien gratifiée au Pays Bas à la tête de l’Alliance Renault -Nissan).

Pour la période concernée, la rémunération de Carlos Ghosn au titre de son mandat de PDG de Nissan a donc été de 8,4 millions €, à noter que c’est peu ou prou la somme qu’il perçoit du Japon depuis 2013. Aucun détail à ce sujet dans le document de référence de Renault.

La rémunération chez Renault

Le comité des rémunérations de Renault  est composé de cinq membres et présidé par Patrick Thomas, ex-patron d’Hermès dont le mandat se termine l’an prochain. Le comité ( voir sa composition ci-dessous) explique qu’il a fait de gros efforts pour rencontrer les actionnaires mais seulement des investisseurs, avec une quinzaine de RDV. L’intérêt de Renault pour les petits porteurs semble très limité, tout comme la volonté d’ailleurs d’exposer la rémunération aux actionnaires salariés. Les slides assez détaillées que l’on peut trouver sur le site internet du constructeur et ici même sont, en effet, en anglais. La rémunération se décompose en trois blocs : la rémunération fixe, la rémunération annuelle variable ( bonus annuel cash ou en différé) et la rémunération à long terme ( actions de performance). En norme IFRS, elle est estimée à 7 millions € en 2016, contre 7,3 millions en 2015.

Retrouvez ici la composition du conseil de Renault et des comités

Slides de présentation de la rémunération de Carlos Ghosn en AG ( en anglais)

Le fixe inchangé reste l’un des plus élevés du Cac 40 : 1,23 million €

La rémunération fixe de Carlos Ghosn atteint 1,23 millions €/an. Elle le situe dans le premier tiers des patrons du CAC40 à ce titre. Mais compte tenu de sa rémunération chez Nissan, Carlos Ghosn arrive probablement devant le PDG de L’Oréal, Jean Paul Agon, qui affiche le fixe le plus élevé du CAC40 « parce qu’il le vaut bien ! » soit 2,2 millions € en 2016.

Reste que Carlos Ghosn semble avoir un goût plus marqué pour les rémunérations variables, probablement plus stimulantes, ce qui ne peut pas déplaire aux investisseurs anglo-saxons qui préfèrent jouer de la carotte et du bâton.

Le rémunération variable annuelle 2016 : 1,41 million €

Des efforts consistants ont-ils été opérés en 2016 sur le premier bonus dû au titre de la performance annuelle ? Soyons honnête, l’actionnaire qui se donne beaucoup de mal pour comprendre, gagne effectivement en lisibilité. A supposer que toutes les rémunérations de Carlos Ghosn sont bien mentionnées ( on ignore toujours s’il existe des rémunérations au titre de l’Alliance aux Pays-Bas comme on l’a vu plus haut), Renault a peut-être fait un effort de transparence.

A vrai dire, c’est à peu près tout ce qui a été amélioré, pour le reste, les curseurs ont été déplacés à la marge.

Ce qui n’a pas changé sur ce « variable » : Carlos Ghosn a toujours droit à une rémunération variable annuelle qui peut atteindre 180 % de sa rémunération fixe si les objectifs sont dépassés soit 2,21 millions €/an. Dans tous les cas 25 % de ce bonus annuel est versé en cash immédiatement (comme le fixe) tandis que 75 % est bien acquis mais payé en différé à condition d’être présent dans l’entreprise.

Ce qui change : Carlos Ghosn pouvait en 2015 obtenir 150 % de sa rémunération fixe si les performances assignées étaient atteintes ( et non pas dépassées). En 2015, il avait eu droit à 145 % de sa rémunération fixe au titre de variable annuel. Les investisseurs ont trouvé que la récompense était trop facile à décrocher, Renault est revenu non pas à 150 % du fixe mais à 120 %. En 2016, le bonus annuel était toujours assez facile à atteindre puisque le PDG a décroché 115 % sur les 120 % ( cad 1,41 million €).

Les critères de performance requis pour atteindre l’objectif, ont été modifiés, mais à la marge. Une part plus grande est réservée aux critères financiers indiscutables ( 70 % sur 120 % du fixe au lieu de 60 % sur 150 % ) qui restent les mêmes (retour sur capitaux propres, marge opérationnelle et free cash flow) mais modulés, un poil différemment. Et une part moindre a été consacrée aux critères non financiers ramenés de 6 à 4 d’ailleurs. Ces critères là sont généralement assez évasifs pour qu’on les juge atteints quoiqu’il arrive et les investisseurs n’aiment pas beaucoup ça, par principe.

Au final, pour un PDG qui touche 15 millions € par an, la différence se situe dans l’épaisseur du trait, avec un impact à la baisse d’à peine 2 % sauf si les performances sont dépassées. Et il aura fallu 15 réunions avec des investisseurs pour en arriver là ! Que d’énergie perdue pour pas grand chose !

En revanche, Renault a préféré rester discret sur un autre changement : le versement de la partie différée de la rémunération ( les 75 % en actions ) n’est plus modulée comme précédemment selon les performances annuelles ( entre 85 % et 115 %), de plus, elle est maintenant étalée sur 3 ans seulement au lieu de 4 ans, ce qui sent la fin de carrière  puisque le PDG de Renault pourra toucher ses 75 % de bonus de 2016, en 2018 et non en 2019.

La rémunération en actions gratuites 2016 : jusqu’à 8,3 millions € ( 4,36 millions en IFRS)

Evidemment, la principale partie de la rémunération, à savoir l’attribution annuelle depuis plusieurs années de 100 000 actions de performance Renault, n’a pas été modifiée, c’est pourtant la plus grosse part du gâteau. Pour être versée, il faut que  le PDG ait atteint ses objectifs pendant trois ans, qu’il reste 4 ans dans la société puis qu’il en conserve 25 % en actions. Les critères de performance portent sur le TSR ou rendement total de l’action Renault pour l’actionnaire,  ainsi que la marge opérationnelle qui doivent tous deux être supérieurs ou égaux à ce qui sera constaté chez les grands concurrents européens du secteur. Le troisième critère de free cash flow doit, lui, être équivalent ou dépasser le chiffre inscrit au budget par le management.

Si ces critères ne sont pas respectés, Carlos Ghosn ne touchera pas la part équivalente de rémunération de long terme correspondante ( 33 % pour chaque critère). S’il les dépasse, il pourra se voir attribuer un nombre d’actions allant jusqu’à 100 000 actions Renault au bout de trois ans soit, compte tenu du cours actuel de Renault 8,3 millions €. Les normes IFRS permettent de pondérer cette somme et donc d’afficher un montant de rémunération de long terme de seulement 4,36 millions € dans le document de référence.

La clause de non concurrence :  2 années de rémunération

L’artisan du redressement de Nissan, a maintenant 63 ans mais il peut toujours offrir ses services à un concurrent, estime sans doute le comité des rémunérations de Renault. Sa clause de non concurrence  représente deux années de rémunération chez Renault avec pour base la rémunération globale  c’est à dire fixe + variable versée l’année précédente. S’il partait maintenant, Carlos Ghosn pourrait probablement encaisser entre 5 et 10 millions € à ce titre.

La retraite chapeau : 0,76 million € / an

Carlos Ghosn bénéficie du régime collectif de retraite supplémentaire des membres du Comité exécutif du Groupe Renault soit un régime à cotisations définies (8 % de la rémunération annuelle comprise entre huit et seize fois le plafond annuel de la Sécurité Sociale), et d’un régime à prestations définies ( 11,80 % de cotisation sur la rémunération globale) soumis à une condition d’ancienneté déjà acquise et à une condition de présence du mandataire social.

La rente limitée à 45 % du salaire brute de référence et plafonnée, représente d’ores et déjà 760 000 € par an.

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legros
6 années plus tôt

Peut être faudrait-il s’interroger sur la question de savoir si un PDG (qui par construction ne touche pas de salaires au sens salarial du terme) peut bénéficier d’une retraite chapeau qui a pour base de calcul les salaires perçues par les cadres dirigeants.