Conditions de départ du dirigeant : l’AMF fait ses recommandations

Dans son rapport de 2018 sorti en novembre, sur la gouvernance des entreprises et la rémunération des dirigeants, l’AMF a développé les sujets liés à l’arrivée à échéance des mandats des patrons d’entreprises cotées sur un marché réglementé. Le Haut comité de gouvernement d’entreprise qui surveille l’application du code Afep Medef, ne s’était pas toujours réveillé à temps pour identifier certaines situations abusives. En 2017 et 2018, plusieurs comités de rémunération des entreprises du SBF120, avaient octroyé des « faveurs » aux dirigeants sortants, sans même que les actionnaires, aient pu en avoir conscience et s’y opposer. L’AMF a tenté d’y mettre un peu d’ordre avec ses propres recommandations, complétant celles du code Afep Medef.

La liste ci-dessous des anomalies relevées l’an dernier, n’est pas exhaustive. Mis à part le cas de Carrefour, l’AMF n’a pas voulu cette année utiliser le « name on shame ». Voici pourtant quelques cas qui ont donné lieu à des changements de doctrine de sa part :

Chez EliorLe HCGE a souligné « une déviation grave » en évoquant l’absence de réaction du conseil d’Elior, suite au refus des actionnaires de voter le Say on Pay du PDG, Philippe Salle, lors de l’AG 2017. Par la suite, en juillet, le refus du PDG de renoncer à la présidence pour rester seulement DG d’Elior, l’aurait obligé à présenter sa démission. Elle sera finalement transformée en « départ contraint » de façon à déclencher un « parachute doré ».

Chez Tarkett : Lors du départ de son PDG, Michel Giannuzzi, le comité des rémunérations de Tarkett, s’est assis sur les conditions de présence nécessaires à l’obtention de certains bonus et attributions d’actions. Quant à la communication sur les conditions de départ, intervenue peu de temps après l’annonce de pertes dues à une amende au titre de la concurrence, elle a été bâclée et tous les éléments de rémunération n’y étaient pas.

Chez Eurazeo:  Le président du Directoire, Patrick Sayer qui devait partir à la retraite en décembre 2019, a quitté cette présidence le 19 mars 2018, après avoir retrouver son contrat de travail suspendu de « conseiller du président » le 18 mars. Ses rémunérations versées en 2017 en hausse de 16 % pour sa rémunération fixe et de 57 % pour son bonus annuel variable ont bien été soumises à un vote contraignant du say on pay mais pas l’indemnité de départ de 4,1 millions € qu’il s’est fait octroyer seulement en 2018. Fin 2017, ses droits à la retraite s’élevaient à 1,06 millions €/an qu’il touchera à compter de décembre 2019, tandis qu’il reste membre du conseil d’administration de la société, percevant à ce titre des jetons de présence.

Chez Carrefour : Le versement d’une indemnité de non concurrence de 4 millions € à Georges Plassat, directeur général sortant de Carrefour, mis à la retraite à 68 ans, a suscité un tollé et a entraîné un durcissement des dispositions du code français AFEP-MEDEF concernant les accords de non-concurrence et régimes de retraite. L’intéressé a du renoncer à cette indemnité après l’AG de Carrefour.

Chez Sodexo mais aussi chez CGG : Pour le départ à la retraite après 35 ans de maison du DG Michel Landel âgé de 66 ans, le conseil d’administration de Sodexo a accepté de lui verser 1,9 million € sous forme d’indemnités. Comme Jean-Georges Malcor chez CGG, le patron du spécialiste des cantines a semble-t-il trouvé le moyen d’atterrir en douceur. Dans les deux cas chez Sodexo comme chez CGG, les mandataires se font « indemniser » à l’occasion de leur départ en retraite suite à l’activation d’une clause de non concurrence qui ressemble à s’y méprendre à « un parachute doré ». Or les indemnités de départ ne se justifient pas lorsqu’un dirigeant part en retraite, pour l’Afep-Medef.

L’autorité des marchés financiers a donc apporté un certain nombre de précisions :

Lors du départ d’un dirigeant, la société doit présenter dans un communiqué toutes les sommes dues ou versées à cette occasion

  1. Conformité au say on pay voté – A l’occasion de l’arrivée d’un nouveau dirigeant mandataire social, la loi prévoyant désormais que la rémunération des dirigeants est déterminée conformément aux principes et critères approuvés par l’assemblée générale, le conseil d’administration vérifie si ces éléments de rémunération sont conformes à la politique de rémunération votée en assemblée générale de la société.
  2. Contrat de travail d’un salarié nommé dirigeant mandataire social – Lorsqu’un salarié devient dirigeant mandataire social exécutif de l’entreprise, le code AFEP-MEDEF recommande de mettre fin au contrat de travail. L’AMF constate que ce n’est pas toujours le cas, les sociétés le justifiant notamment par l’ancienneté au sein du groupe. L’AMF ne se satisfait pas de cette explication sommaire et rappelle qu’« elle recommande que la société apporte des justifications adaptées à la situation propre de chaque dirigeant (durée de l’ancienneté, description des avantages attachés au contrat de travail) » . L’AMF rapelle également que dans son rapport d’activité 2015, le Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) avait précisé que des explications sur les avantages procurés par le maintien d’un contrat de travail devaient être fournies afin de « permettre aux actionnaires de s’assurer que ce maintien ne génère pas de non-conformité aux autres dispositions du code, notamment en ce qui concerne les indemnités de départ.»
  3. Indemnité de départ en cas départ anticipé – L’autorité constate également que le bénéfice d’une indemnité en cas de départ contraint au cours des deux années suivant la nomination d’un dirigeant n’est pas cohérente avec la recommandation 24.5.1 du code AFEP-MEDEF qui précise que : « les conditions de performance fixées par les conseils pour ces indemnités doivent être appréciées sur deux exercices au moins ». Elle suggère que les sociétés expliquent en quoi les indemnités qui pourraient être versées au cours des deux premières années sont conformes au code, y compris lorsque leur montant est progressif (100% de l’indemnité ne devrait pouvoir être perçue qu’après des performances ayant été appréciées sur deux exercices).
  4. Mise en conformité avec le nouveau code de gouvernance – Pour l’AMF, le renouvellement d’un dirigeant doit être l’occasion pour le conseil de s’interroger sur la possibilité et l’opportunité d’une mise en conformité avec de nouvelles dispositions du code Afep Medef. En cas de non conformité, le principe « appliquer ou expliquer », l’AMF recommande de justifier les dérogations par rapport à la version en vigueur du code. Ceci s’applique notamment aux évolutions en matière d’indemnités de départ, de retraites et d’indemnités de non-concurrence.
  5. Départ contraint et indemnités de départL’AMF rappelle que le versement d’indemnités de départ n’est du que dans le cas d’un départ contraint. Que la nomination d’un ancien dirigeant au conseil d’une société permet dans certains cas de favoriser les conditions d’une transition managériale. Toutefois, elle invite le code AFEP-Medef ou le HCGE à clarifier la notion de départ contraint en cas de maintien du diirigeant à une fonction non exécutive ou non au sein du groupe. Pour l’AMF, elle doit être justifiée sachant que ce dirigeant pourrait rester soumis, du fait des fonctions qu’il continuerait d’exercer au sein de ce groupe, à une obligation générale de confidentialité et/ou de loyauté. Pour la bonne information du marché et en complément des interprétations qui pourraient être fournies par le code AFEP-MEDEF et/ou le HCGE, l’AMF estime opportun que les sociétés fassent apparaitre clairement la nature du départ du dirigeant. Il convient par ailleurs de présenter tous les éléments de contexte permettant de juger de la conformité des éléments de rémunération versée à l’occasion du départ du dirigeant.
  6. Information sur les conditions financières du départ. Pour les dirigeants mandataires sociaux, cette information doit être complète même dans le cas où il s’agit de départs de dirigeants mandataires sociaux non exécutifs ou de départs à l’occasion desquels le ou les dirigeants quittant l’entreprise n’ont pas perçu d’indemnités de départ ou de non-concurrence. L’autorité estime qu’il est nécessaire de communiquer au marché toutes les décisions et notamment celles concernant les droits acquis au titre de la retraite et le devenir des rémunérations variables long terme dont la durée d’appréciation des critères long terme n’a pas expiré. S’agissant  du maintien du bénéfice de la rémunération variable long terme lorsque le dirigeant part avant l’expiration de la durée prévue pour l’appréciation des critères de performance, la règle du prorata temporis, apparaît comme une bonne pratique, souligne l’Autorité, compte tenu du fait que celui-ci ne sera plus en mesure d’influer sur la performance de l’entreprise après son départ

D’une façon générale, lors du départ d’un dirigeant mandataire social, l’AMF recommande que les sociétés présentent dans un communiqué récapitulatif tous les éléments permettant d’apprécier la conformité au code des sommes dues et versées à l’occasion du départ du dirigeant. Elle rappelle que ce communiqué doit faire l’objet d’une diffusion effective et intégrale et ne pas être uniquement mis en ligne sur le site de la société.

L’AMF recommande de présenté  les indemnités dues pour chaque cas de départ ( démission, départ contraint, retraite)

  1. Présentation des rémunérations. Les rémunérations sont présentées dans un rapport sur le gouvernement d’entreprise souvent présentés comme suit : (i) les principes généraux de la politique de rémunération de la société, (ii) la politique de rémunération soumise au vote en année n-1, (iii) les rémunérations versées en année n-1 (iv) les tableaux prescrits par le code AFEP-MEDEF pour la présentation de certains éléments de rémunération n-1 (v) la politique de rémunération en année n+1 soumise à l’approbation de l’assemblée générale + la déclaration de conformité au code de référence retenu par la société.

L’autorité des marchés financiers note que les informations soumises au vote pour l’année en cours (say on pay ex ante), antérieurement à l’octroi de la rémunération apporte le plus souvent les éléments et précisions suivantes :

  • structure de rémunération de leur dirigeant en distinguant la part long terme et court terme ;
  • détail des conditions de performances à respecter ;
  • montant de la rémunération fixe décidée par le conseil pour l’année n
  • plafond de la rémunération variable de l’année n ( en moyenne de 133 % de la rémunération fixe pour l’échantillon).

Certaines informations présentées de façon moins systématique sont également importantes selon l’autorité :

  • l’évolutions de la politique de rémunération et sa mise en perspective sur un horizon à plus long terme en lien avec la stratégie du groupe ;
  • La présentation des bénéficiaires potentiels des rémunérations variables à long terme,

L’AMF recommande aux sociétés de présenter dans leur document de référence et leur politique de rémunération, les différentes indemnités potentiellement dues en fonction des différents cas de départ (départ volontaire, départ contraint et départ en retraite). Elle  les bonnes pratiques d’une société qui fournit, dans son document de référence, une présentation extrêmement claire des conditions financières attachées à chaque forme de départ.

Des précisions sur ce que doit inclure le tableau des rémunérations présenté au vote du say on pay

  • S’agisant des stock-Options, des actions de performance ou autres attributions de titres, les sociétés doivent présenter à la fois les attributions et les sommes effectivement versées à la suite de ces attributions.
  • Le code AFEP-MEDEF recommande que la rémunération fixe attribuée aux dirigeants mandataires sociaux ne soit revue en principe « qu’à intervalle de temps relativement long. […]. En cas d’augmentation significative de la rémunération, les raisons de cette augmentation sont explicitées ». L’AMF recommande, par ailleurs, aux sociétés «d’indiquer la périodicité de révision de la rémunération fixe et  de présenter les augmentations de la rémunération fixe de leurs dirigeants, en indiquant le pourcentage d’augmentation par rapport à l’exercice précédent et en explicitant, si elle est significative, les raisons de cette augmentation ».
  • La loi « Macron » du 6 août 2015  a instauré une obligation de mentionner dans le rapport de gestion « les engagements de retraite et autres avantages viagers » pour chaque mandataire social, une estimation du montant des rentes qui seraient potentiellement versées au titre de ces engagements et des charges y afférentes. L’article L. 225-37-3 du code de commerce prévoit que, hormis les cas de bonne foi, les versements effectués et les engagements pris en méconnaissance de ces dispositions peuvent être annulés. Lorsque le rapport annuel ne comprend pas les mentions prévues, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au conseil d’administration ou au directoire, selon le cas, de communiquer ces informations.
  • Les éléments de la rémunération dus ou attribués au titre de l’exercice clos, qui font ou ont fait l’objet d’un vote par l’assemblée générale au titre de la procédure des conventions et engagements réglementés doivent être présenté dans le tableau de manière différenciée.

La présentation à l’AG de la politique de rémunération mise en œuvre doit être exhaustive

L’AMF souhaite que les émetteurs affichent une vision globale dynamique de la mise en œuvre de sa politique de rémunérations dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise et le document de référence, en sus de la politique de rémunération et des rémunérations du dernier exercice clos. Peuvent être intégrés par exemple :

  • les rémunérations attribuées par la société antérieurement au dernier exercice clos et qui n’ont pas encore été versées ne sont pas présentées dans la mesure où elles se rattachent à la politique de rémunération d’exercices antérieurs.
  • les rémunérations attribuées et/ou versées depuis la fin du dernier exercice.

Pour les options, actions de performance et les rémunérations variables long terme, cela peut être fait par un renvoi aux tableaux 8, 9 ou 10 du code AFEP-MEDEF. Ces tableaux, qui décrivent l’historique des attributions, devraient rappeler les conditions de performance antérieurement fixées.

Le tableau sur les éléments de rémunération au titre du dernier exercice clos (say on pay ex post) doivent inclure les conventions réglementées au profit du dirigeant 

L’année 2018 est la première année de mise en œuvre du vote du say on pay ex-post en application de la loi. Du fait de l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 sur le vote des rémunérations,  L’AMF rappelle que les sociétés doivent veiller à compléter ce tableau avec les éléments de rémunération prévus par l’article R. 225-29-1 du code de commerce tels que les régimes collectifs et obligatoires de retraite et de prévoyance5, les éléments de rémunération et les avantages de toute nature dus ou susceptibles d’être dus à un dirigeant au titre de conventions conclues, directement ou par personne interposée, en raison de son mandat  et tout autre élément de rémunération attribuable en raison du mandat.

Que doit faire la société en cas de refus du Say on Pay ou d’une convention réglementée 

L’AFep Medef avait indiqué dans le dernier toilettage de son code de gouvernante

« Lorsque l’assemblée générale ordinaire émet un avis négatif, le conseil doit se réunir dans un délai raisonnable après l’assemblée générale et examiner les raisons de ce voteet les attentes exprimées par les actionnaires.

Après cette consultation et sur les recommandations du comité des rémunérations, le conseil statue sur les modifications à apporter à la rémunération due ou attribuée au titrede l’exercice clos ou à la politique de rémunération future. Il publie immédiatement surle site internet de la société un communiqué mentionnant les suites données au vote del’assemblée générale et en fait rapport lors de l’assemblée suivante. »

L’AMF rappelle, quant à elle, les conséquences d’une absence de vote et/ou un vote négatif de l’assemblée générale sur les rémunérations dans les sociétés françaises cotées sur un marché réglementé. Elles mettent en évidence que la Loi Sapin II est très peu contraignante. Ses conséquences, selon les cas, restent en effet assez marginales :

  • Si l’assemblée générale n’approuve pas les principes et critères de rémunération (« say on pay ex ante »), la loi prévoit l’application des principes et critères précédemment approuvés. En l’absence de principes et critères approuvés, la rémunération est déterminée conformément à la rémunération attribuée au titre de l’exercice précédent ou, s’il n’y a pas eu de telle rémunération, conformément aux pratiques existantes au sein de la société ;
  • pour l’approbation des rémunérations versées et attribuées au titre du dernier exercice clos, l’autorisation ne conditionne que le versement des éléments variables et exceptionnels ;
  • en cas de vote négatif sur les conventions réglementées, les conséquences, préjudiciables à la société, des conventions désapprouvées peuvent être mises à la charge de l’intéressé et, éventuellement, des autres membres du conseil d’administration. Les conventions approuvées par l’assemblée, comme celles qu’elle désapprouve, produisent leurs effets à l’égard des tiers, sauf lorsqu’elles sont annulées dans le cas de fraude (article L. 225-41 du code de commerce).